III

Le bois des branches

Il est commun de trouver des branches dans les bois, ou encore que ces mêmes branches soient en bois. Il est également commun que ces branches en bois soient les parties hautes d’arbres divers, eux-mêmes en bois. Il y a bien des branches, dans le bois des branches, et ces branches sont en bois, mais de prime abord, il n’y a aucun arbre dans ces bois. En fait, il y a bien plus d’arbres que de branches dans le bois des branches, puisque ce que les habitants appellent ici « branches » … sont des troncs. Il aurait pu être simplement compliqué de parler du bois des branches, mais les arbres en question, dont les troncs sont pris pour des branches, portent le nom d’éracines, infusant dans ce curieux potage une nuance confusante supplémentaire, ajoutant, dira-t-on, au mystère planant sur ces lieux.

La clairière des éracines, située au nord-ouest de Corma, abrite les derniers représentants de l’espèce, vouée à disparaître. Les éracines sont des arbres multi-troncs à la stature impressionnante. Chaque spécimen possède entre 40 et 120 troncs très fins et très longs, qui s’entrecroise et se dispersent horizontalement jusqu’à 15 mètres de leur point d’origine. Leur hauteur, quant à elle, dépasse rarement les 3,20 mètres. Le bois des branches s’étale aujourd’hui sur à peine 2km², soit seulement 4% de sa taille enregistrée 386 ans plus tôt. Les éracines observables de nos jours sont en réalité presque tous morts ou mourants, et l’on estime que d’ici un siècle, le bois des branches aura entièrement disparu, en dépit des mesures prises pour le sauvegarder. Parmi celles-ci l’interdiction formelle de pénétrer la clairière pour les personnes qui n’y seraient pas autorisées au préalable par l’Éliarque de la Flore, Gustéaévron Morriduan. La sève d’éracine étant très sucrée, les insectes sont également de terribles prédateurs pour les « branches », et leur impact doit être contrôlé sur les derniers arbres encore en vie. Des sentiers praticables ont été aménagés et doivent être scrupuleusement suivis, afin de ne pas endommager les éracines. Ceux-ci sont en effet très fragiles, du fait de l’épaisseur de leurs troncs, et le hors-piste, dans ce cas, est absolument impraticable sans prendre le risque de briser quoi que ce soit. La multitude de « branches », qui s’entremêlent, se croisent, se tordent et s’agrippent, forment d’impressionnants murs de bois pouvant paraître solides, mais qui ne le sont pas.

Le bois des branches était également appelé « bois des vampires » en raison de sa grande population de chauves-souris. L’endroit était idéal pour les chiroptères qui profitaient du confinement octroyé par les troncs, ainsi que de leur dimension sur-mesure leur permettant de s’y agripper très facilement pour la nuit. Mais la mort progressive du bois, et la réduction du nombre d’insectes associée, ont fait migrer les chauves-souris vers le sud de la région. Délaissé de ses vampires, ne reste que le bois des branches.