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Ocarilion, la plus belle ville du monde

« Si, dans très, très longtemps, quand notre civilisation ne sera plus définie que par les ruines qu’elle aura laissées… Si les gars tombent sur Ocarilion… On aura une putain de classe. »

- M. S. Skranck., un ami cher

Souvent - trop souvent, peut-être - fusent dans cet ouvrage superlatifs et hyperboles, procédé certes racoleur afin d’accrocher votre intérêt de lecteur avide aux milles merveilles de notre monde, qu’il serait irrespectueux, et même impardonnable, de traiter avec hauteur et banalité. Et si la beauté porte sur elle tout ce qu’elle a de subjectif, elle laisse en revanche libre place au consensus lorsqu’il s’agit de la magnifique cité d’Ocarilion. Puissante source d’inspiration pour chaque peintre, pour chaque poète, écrivain et musicien de notre temps, je ne vous cacherai pas qu’Ocarilion fut une étape décisive dans la confection de cet Atlas.

Aussi, fallait-il bien la plus grande architecte de l’Histoire pour ériger la plus belle ville du monde, et qui aurait pu mieux prétendre à ce titre que celle dont le nom orne chacun - finirait-on par penser - des grands édifices d’Ilyr ? Nous parlons bien sûr de l’incroyablement talentueuse Lana-Rose Sirco. C’est âgée d’une quarantaine d’années, et après avoir refaçonné le paysage de tant de cités qu’il serait absurde de les nommer, que Sirco se lance dans le projet de sa vie : fonder la ville parfaite. Sa renommée et son assurance aidant, ainsi que la promesse d’une cité prospère étroitement liée au Royaume, elle obtint de la troisième reine d’Ilyr tout le soutien nécessaire à son projet. Trente ans plus tard, en 6180, se dressait dans les collines boisées de Solmai ce qui serait la fierté de toute une civilisation. Comment la décrire ? Comment ne pas altérer par le texte la beauté de ce qui doit être vu ? C’est un exercice que d’autres écrivains, plus habiles et talentueux que votre serviteur, réussiraient avec peine, mais auquel je tiens à me plier, au crochet de votre indulgence.

Embrassée par les flots paisibles du grand fleuve Lupio, Ocarilion donne l’impression d’être posée sur l’eau. Les rives clairsemées de noyé-pêcheurs sont ralliées par sept ponts en arcs magnifiques, les larges ruelles pavées de motifs sont bordées d’échoppes et de belles bâtisses, les quartiers teintés de multiples parfums s’habillent d’aqueducs, de sculptures de jasmin. Pas une place démunie de fontaine, pas une rue privée de lumière. De la ville-haute aux faubourgs bleus, du cercle rose au confluent, rien - n’en déplaise à Thyiengarde - strictement rien qui n'eût été laissé au hasard par Lana-Rose. Et c’est bien sûr de nuit qu’Ocarilion est la plus belle, lorsque ses milliers de lanternes illuminent les parcs et dansent dans les eaux du Lupio. Puis durant la période estivale, lorsque le Solmai relâche ses célèbres lucioles, et que par milliers celles-ci prennent d’assaut les abords du fleuve, il n’y a pas de mots pour décrire la magie de ce tableau. Mais la cité n’est pas simplement splendide, elle est également incroyablement bien pensée dans sa disposition, dans ses facilités, ses accès. De partout il est possible de rejoindre autre part en un rien de temps. Prouesse d’ingénierie, de nombreux passages secrets, murs dérobés, ponts tournants et même bâtiments à pivot peuplent la ville, offrant aux connaisseurs toute commodité de déplacement. Véritable mécanisme d’horlogerie géant, aucune autre ville, même plus récente, n’est aussi “articulée” que l’est Ocarilion. Ce récit aurait pu s’arrêter là, que la cité sur le Lupio aurait déjà eu largement sa place dans cet Atlas. Mais ce serait sous-estimer le personnage qu’était la grande Sirco, dont les ambitions et le caractère ne se seraient contenté de marquer le monde uniquement de son vivant.

« Naître où je mourrai, mais vivre si loin.
Le plus haut perché est le plus petit.
Et à dix reprises, il l’avait compris. »

Inscrite sur le socle de la statue de Lana-Rose, Place Velcore, cette citation marque le début des « Énigmes d’Ocarilion », désormais célèbres dans le monde entier. Selon toute vraisemblance, la cité renfermerait un mystère que seule la résolution des énigmes permettrait de découvrir. Des énigmes, car nous parlons là d’un véritable jeu de piste à l’échelle d’Ilyr, de l’aboutissement d’une vie de travail et de génie, de l’essence même d’Ocarilion, qui fut à l’évidence conçue comme un casse-tête géant. Et voilà plus de 800 ans que le mystère demeure. Voilà qu’en plus de 800 ans, seules deux énigmes furent résolues. La première, citée plus haut, trouva sa solution peu de temps après l’ouverture de la ville. Elle renvoyait à Erimil Durin - et plus précisément à la tombe de celui-ci - célèbre alpiniste à qui l’on doit le nom de la fameuse chaîne des pics, en Elmelle. En guise de deuxième énigme il y avait, taillé dans un roc non loin de la pierre tombale, le dessin d’un escalier de dix-neuf marches accompagné des lettres « ACG ». Celle-ci ne fut résolue qu’assez récemment, il y a tout juste un siècle. Il n’y a qu’un seul et unique escalier de dix-neuf marches dans tout Ocarilion, et il se trouve dans une petite boutique de chaussures, ruelle Hoblanc, « Aux Longs Lacets ». Le nom de l’échoppe a toujours été inscrit au haut dudit escalier, sur une poutre de l’étage. Il paraissait donc tout naturel que le mot de l’énigme fut en rapport avec ces lettres, avec cet escalier de dix-neuf marches… Et, pourtant, rien ne fut découvert pendant si longtemps… On avait abandonné cette hypothèse. Mais il y a peu, l’on découvrit d’anciennes archives. Dans ces archives l’on trouvait le premier plan de la cité, où figurait, ruelle Hoblanc, une boutique de chaussures. Et cette boutique portait, comme enseigne, « Les Chats Rouges ». L’on compris que, peu de temps après le décès de Sirco, la boutique changea de nom, mais conserva, par souci de facilité quant à l’inscription en relief, le même nombre de lettres. L’on pressa le A, devenu un N, puis le L qui fut un C, et le E, à qui le G avait laissé place. Un mécanisme se déclencha, et les marches de l’escalier de pierre se retirèrent, dévoilant un passage dans le sol. Dans cette cave, se trouvait un mot de Lana-Rose, à l’intention du premier propriétaire de la boutique.

« À Monsieur Guovaldi.

Je perçois d’ici votre surprise, Auguste. J’espère qu’ils n’ont pas trop tardé à vous ouvrir cette cave. Vous qui vous plaignez toujours du manque d’espace, voici de quoi vous satisfaire.

La caresse à Fidi et aux autres, L-Rose. »

Et gravée au plafond de cette cave, se trouvait la troisième énigme, toujours muette. Qui pourrait dire quel message, quelles pièces secrètes, quels trésors, si brillamment suggérés, renferme jalousement la merveilleuse cité d’Ocarilion ? Et combien d’astuces, d’énigmes, de traits d’esprit, que le temps et le hasard s’amusent à faire jouer, combien d’aventures et de découvertes nous dessina Lana-Rose ? Il est probable qu’à ces questions, nous n’obtenions jamais les réponses. L’envergure du génie de Sirco dépasse les siècles, et les Hommes. Il nous reste cependant la flamme, l’ardeur de percer le mystère. Une flamme qui, à n’en pas douter, brûlera encore de longues années.

NB : Le Mystère d’Ocarilion me passionne, vous l’aurez compris, et je travaille actuellement sur un ouvrage décryptant les énigmes, regroupant les indices et analysant les suppositions. Sobrement intitulé Le Mystère d’Ocarilion : Premiers pas, il sera disponible à la Grande Bibliothèque de Colvinte à partir de 6999.