VII

Calikan, Tezkan, H’kan et Aokan, les veilleurs de Sabres

« Amira aimait ses bêtes plus que tout au monde. Amira veillait sur elles, et ce sont elles qui veillent sur nous, désormais. »

- Sam Faj, matriarche des An Hapj.

Sabres est la plus vieille ville des Sables de Saoma, région la plus au sud d’Ilyr, et fait partie des cinq Phares-des-dunes. La cité a su perdurer au fil du temps, malgré son emplacement géographique pour le moins contraignant. Terres infertiles, conditions climatiques extrêmes, faune hostile et endiguement par le sable. Fort heureusement, Sabres est « protégée », ce depuis toujours, par quatre panthères saomires. Des siècles maintenant, que quatre félins sont vénérés et considérés comme les gardiens de la ville. Bien que les panthères des sables aient une espérance de vie plus importante que toute autre panthère (entre 60 et 85 ans), il serait incorrect de penser qu’il puisse s’agir des quatre mêmes félins depuis si longtemps. En langue saomire (aujourd’hui éteinte), le suffixe « kan » signifie « le neuvième ». Ainsi, Aokan est le descendant d’Aoja (littéralement « Ao la huitième »), elle-même descendante d’Aokesh (« le septième »), et ainsi de suite.

Les origines de cette tradition remontent à plus de 600 ans, alors que Sabres n’était pas encore fondée. Amira Faj était à l’époque, accompagnée de ses deux sœurs Kara et Soaliha, dirigeante de la troupe itinérante des An Hapji (« Les Harpies »). Encore en activité de nos jours, la famille Faj avait fondé ce cirque vagabond bien avant la naissance des sœurs, et c’est à la mort de leur mère qu’Amira en reprit les rênes. Plus qu’un cirque, An Hapj, c’est du théâtre, de la poésie, des couleurs, et de véritables prouesses artistiques, dans le respect et le souci des traditions saomires. Ainsi, la bonne Amira dirigea la troupe avec beaucoup de sagesse et de motivation, lui assurant gloire et prospérité au cours des six siècles suivants. Plus le temps passait, plus le talent des Harpies faisait de bruit. Tant de bruit même, que le nord leur fut ouvert par le quatrième roi d’Ilyr, Victor Vemenuis. Conquis de leur prestation, le roi Victor fit bâtir à la capitale la célèbre salle de la Coupole, accueillant aujourd’hui les événements artistiques les plus éminents. Il fit la promesse que la troupe des An Hapj serait accueillie chaque année, à la date de son anniversaire, ce qui contribua à ouvrir les Sables de Saoma au reste d’Ilyr sur le plan politique. La troisième année, Amira offrit au roi les quatre jeunes panthères des sables qui avaient participé à la représentation : Cali, Tez, H, et Ao. L’année suivante, la rébellion des On-Komi (« natifs des dunes ») éclata, et les frontières se resserrèrent sur les An Hapj, qui ne répondirent pas à l’invitation royale annuelle. Les On-Komi s’en prirent aux Harpies, considérées comme le symbole de la griffe nordienne venue s’emparer des terres du sud et écraser les traditions saomires. Amira résista, souhaitant préserver l’empire de la famille Faj. Kara et Soaliha lui tournèrent le dos, et les An Hapj se divisèrent. Ces dernières, ralliées aux rebelles, bénéficièrent de leur protection, tandis qu’Amira fut bannie, et traquée, avec plusieurs autres membres de la troupe. Le roi Victor, conscient des tensions politiques qui balayaient les Sables, eut vent de la situation d’Amira. Il monta une expédition discrète, de quelques hommes, pour retrouver les Harpies égarées. Ces quelques hommes étaient accompagnés de quatre panthères des sables. Ils retrouvèrent finalement Amira après plusieurs jours de recherche dans le désert. La chaleur avait eu raison des animaux, et les deux caravanes étaient immobilisées. Sans tarder, les hommes du roi escortèrent les survivants plus au nord, où ils seraient en sécurité. Malheureusement, à deux jours de la frontière, le convoi fut pris dans une embuscade des On-Komi, qui assassinèrent presque tous les résistants. Peut-être est-ce depuis ce jour que l’on surnomme Victor « le roi sage », qui avait fait accompagner ses hommes des quatre panthères. Tez mordit, Cali griffa, H déchiqueta et Ao broya les On-Komi, sauvant ainsi Amira et les derniers membres des An Hapj. Avec le soutien du roi, la rébellion pris fin dans les mois qui suivirent. Kara et Soaliha Faj furent exécutées par les traitres, et la Couronne d’Ilyr promit sécurité au peuple saomire. Ainsi furent bâtis les Phares-des-dunes, cinq villes nouvelles qui veilleraient sur les Sables. À l’emplacement de l’embuscade, fut érigée Sabres. Les An Hapj surent perdurer, Amira à leur tête, qui assura également la direction de la ville. Depuis lors, tandis que les descendants de la famille Faj continuent de faire vivre le plus incroyable spectacle itinérant du monde, les descendants des quatre panthères légendaires continuent de veiller sur la ville, symbole de la paix en Sables de Saoma.

En dépit de ce que peut laisser penser l’histoire d’Amira, les panthères des sables sont des animaux doux, et inoffensifs. Elles se nourrissent principalement d’araignées ou de scorpions, et ne présentent aucun danger pour l’homme, même à l’état sauvage. Les « kan » de Sabres sont, elles, encore plus dociles et affectueuses que n’importe quel chaton, et il est tout à fait possible de leur rendre visite. Les quatre félins sont choyés par la fondation Amira, et profitent d’une vie bien tranquille dans les jardins secs de la ville. On raconte même qu’H’kan, l’une des femelles du groupe, attendrait les futurs H’viq et Tezviq.