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Les neiges de rubis

À l’extrême nord-ouest de la région de Terrebrène, s’observe un phénomène des plus singuliers. Sur plusieurs lieues à la ronde, le sol, les bâtisses et les rares végétaux sont recouverts d’un manteau de neige… rouge. Cela peut se produire trois à cinq fois par an, mais ne s’observe que dans cette partie très spécifique du monde. Les habitants d’Ilyr qualifient cette intempérie hors du commun de « neiges de rubis ». Cette appellation, aussi lyrique et favorable au tourisme soit-elle, est assez trompeuse. En effet, le phénomène en lui-même n’est en aucun cas d’ordre météorologique, bien qu’il en soit une conséquence. Si la neige traditionnelle est composée de flocons, les neiges de rubis de Terrebrène sont, elles, faites de poussière, ou plus précisément de minuscules bris de cristaux. Ceux-ci, extrêmement légers, tombent portés par le vent, selon une physique semblable à celle de flocons de neige. Reste à déterminer comment le court du rubis peut-il se porter si bien, alors qu’il suffit de se baisser pour en ramasser. Encore une fois, une affaire de tourisme. Le cristal en question n’a en effet jamais été du rubis, et si tel avait été le cas, jamais ce phénomène ne se serait produit. Il s’agit en réalité de thelberoi, un minéral aussi semblable au rubis qu’il en est différent, de part sa composition chimique. La thelberoi est tout d’abord particulièrement légère et très friable. Les neiges de rubis s’expliquent alors très simplement : niché au sommet du pic de Thelbe se trouve le plus grand cristal de thelberoi du monde. Exposé à de violentes bourrasques en raison de sa haute altitude, le cristal rouge vif est parfois confronté à de terribles rafales de vent, environ trois à cinq fois par an. Sa grande friabilité lui vaut alors, plusieurs centaines de mètres plus bas, le qualificatif de « neiges de rubis ».

Bien que de nos jours la thelberoi n’ait aucune réelle valeur marchande, il faut savoir qu’elle dispose de propriétés étonnantes. Le corps du cristal Mère (comme l’appelle les géologues) se régénère de lui-même, et garantit ainsi, aux habitants de Terrebrène, encore de nombreuses neiges rouges. À l’inverse, désolidarisés du corps, les fragments se désagrègent en quelques jours. La dénomination de minéral fait aujourd’hui débat lorsque l’on parle de la thelberoi. De récentes recherches sont financées (majoritairement par Ribleder Trion, Éliarque de la Richesse et originaire de Terrebrène), afin de prouver que cette pierre fait partie intégrante du règne des vivants, au même titre que les végétaux. Les détracteurs de cette hypothèse se basent sur le fait que la thelberoi ne se reproduit pas, mais des expéditions se préparent à arpenter les sinuosités du pic de Thelbe encore insondées afin de faire avancer les recherches à ce sujet.

La thelberoi, et la montagne associée, tirent leurs noms de la légende du quatrième roi de Thelbe (actuellement Ilyr) et de son armure de pierre rouge. Les écrits, très peu nombreux à ce sujet, racontent que son armure auto-régénératrice lui conférait un avantage extraordinaire lors des batailles, cautérisant très rapidement les chocs et entailles qu’elle subissait. La mise en évidence du temps de régénération complète de la thelberoi (de deux à trois mois), ainsi que sa grande fragilité indique clairement qu’aucune armure faite de la sorte n’aurait pu être utilisée sur un champ de bataille. Le nom de l’époque de la thelberoi n’étant pas connu, il est possible qu’un autre minéral supposément vivant, et plus efficace encore que celui-ci, ait existé et disparu, ou que le temps ait agrémenté l’histoire du quatrième roi de Thelbe de quelques fantaisies.